28 mars 2007

RDCONGO: La tragi-comédie de la troisième République. Par Kä Mana, Philosophe et théologien congolais


Si la situation politique de notre pays n’était pas jonchée de massacres, de crimes et d’insoutenables scènes de violences où s’empilent cadavres sur cadavres depuis de nombreuses années, nous n’aurions été qu’une nation comique et ridicule, dont la bêtise et l’idiotie auraient amusé tous les peuples partout où l’on peut parler de nous. Tout le monde aurait pu se tordre de rire devant une classe dirigeante comme celle que nous avons aujourd’hui. Il y aurait eu de quoi se plier en quatre devant les personnages qui ont entre leurs mains le destin de tout un peuple et qui se comportent comme s’ils n’avaient ni matière grise dans la tête ni moindre conscience éthique de leurs responsabilités ici et maintenant.


DES POLITICIENS POLITIQUEMENT VIDES

Ce qui me frappe personnellement dans notre classe politique, c’est son inconsistance et son insignifiance. Elle a un côté quelque peu cocasse de marionnettes animées par des acteurs de l’ombre. Ceux-ci tirent les ficelles à l’échelle internationale et font croire aux uns et aux autres de nos politiciens qu’ils peuvent devenir les vrais maîtres du pays par la force et la violence. Par manque de consistance personnelle et du sens de leur devoir comme hommes et femmes dignes de considération, ces politiciens deviennent ivres de leur propre personnage et tombent dans le vertige de la grandeur factice que l’on exalte pour eux.
Ils font alors des choix complètement aberrants qui transforment la comédie de leur pouvoir en véritable tragédie pour notre peuple. Il n’est pas possible de comprendre les derniers événements qui ont plongé la ville de Kinshasa dans le sang si on ne prend pas au sérieux l’hypothèse que nous sommes aujourd’hui des proies entre les griffes d’une classe politique sans conscience éthique ni consistance politique.
Qu’il s’agisse du pouvoir en place ou de l’opposition, ceux qui s’agitent sur la scène de notre vie politique n’ont pas l’étoffe de vrais hommes d’Etat, c’est-à-dire des personnalités capables de mesurer les vrais enjeux du présent et de l’avenir d’un pays ruiné et déchiré dans son esprit comme l’est la RDC aujourd’hui.
Choisir l’affrontement par les armes pour résoudre un problème de réintégration des milices dans l’armée nationale révèle plus qu’on ne le pense la réalité de la personnalité de nos dirigeants et de leurs opposants. Si le président de la République n’a trouvé d’autre issue à ce problème que d’ensanglanter le pays par des affrontements militaires inutiles, cela signifie qu’il est incapable d’imaginer autrement son rôle qu’en termes de chef incontestable, absolu, qui écrase tout sur son passage et ne supporte plus une quelconque opposition à son pouvoir. Au fond, Joseph Kabila s’est servi de l’armée pour nous exprimer son impatience d’être le nouveau Mobutu, rôle que lui conseillent d’assumer ses parrains internationaux qui, eux aussi, sont impatients de « normaliser » le Congo au nom de la logique marchande et prédatrice qui les anime.
N’est-il pas curieux de voir comment l’inénarrable commissaire européen Louis Michel s’est empressé de déclarer son soutien à l’ordre régnant, sans un seul instant penser que la violence de l’armée pouvait relever d’une logique d’irresponsabilité dans un pays cassé dans ses ressorts vitaux par une guerre dont les conséquences catastrophiques sont encore partout visibles? N’est-il pas étonnant d’entendre les représentants des institutions internationales dans notre pays s’en prendre à mots couverts à Jean-Pierre Bemba sans creuser en profondeur l’état d’esprit dans lequel le pouvoir l’a plongé depuis les élections qui ont été organisées dans les conditions que tous les Congolais connaissent ? A bien regarder les réalités en face, on ne peut pas ne pas comprendre que les parrains de Joseph Kabila lui ont donné le feu vert pour passer à la vitesse supérieure dans le processus du pouvoir absolu et perpétuel qu’ils lui ont accordé en manipulant Jean-Pierre Bemba et tout notre peuple.
Le président de la République n’a fait qu’exécuter un plan de « liquidation » politique du leader du MLC. Un plan décidé depuis longtemps et face auquel Jean-Pierre Bemba a montré clairement son étourderie politique depuis que notre pays est entré dans le processus électoral. En agissant comme il a agi, le président Kabila a manifesté son manque de consistance humaine face aux enjeux de notre présent et de notre avenir.
Il a cédé à une passion du pouvoir complètement irresponsable. Il a indiqué clairement que le sang sera la substance de son règne. Alors que le souvenir des morts des membres de Bundu dia Kongo est encore frais dans nos esprits, l’armée a voulu nous servir d’autres morts encore, en plein cœur de Kinshasa. Le message est clair : le pouvoir règnera par la violence, que nous le voulions ou non. Je trouve ce message irresponsable et indigne d’un dirigeant qui hérite d’une situation comme celle de notre pays.
Les priorités dans notre situation sont ailleurs. Vraisemblablement, le président de la République ne l’a pas encore compris. Ses parrains internationaux non plus.
Jean-Pierre Bemba non plus n’a pas compris que les priorités sont ailleurs. Depuis le début du processus électoral dans lequel il s’est engouffré comme un buffle enragé sans se demander pourquoi un homme comme Etienne Tshisekedi s’est méfié des sirènes de la communauté internationale qui voulait à tout pris que nous allions aux urnes, toute personne tant soit peu lucide pouvait imaginer que le Chef du MLC était un mort politique en sursis.
Il était évident que la soi-disant communauté internationale souhaitait le voir au tribunal international pour un procès exemplaire et non devant les électeurs à Kinshasa. Jean-Pierre Bemba, par inconsistance politique, a cru au verbe mielleux des représentants de l’ordre mondial et il s’est lancé tête baissée dans le piège des élections.
Tout le monde savait pourtant que ces élections n’étaient que de la poudre dans les yeux de notre peuple. Tout le monde pouvait prévoir les résultats du processus. Quand ce qui devait s’accomplir s’accomplit et que Joseph Kabila fut proclamé vainqueur, Jean-Pierre Bemba devait comprendre qu’il était désormais fragile et qu’il devait renoncer à toute velléité de miser sur la violence des milices ou d’une garde rapprochée.
Les rapports de force lui étant devenus défavorables, il devait tirer la seule conséquence qu’un homme politique consistant devait tirer : les temps des gesticulations guerrières étaient finis. Au lieu de tirer cette conclusion pour éviter de devenir un lion dans la cage des institutions républicaines, le leader de l’UN crut encore qu’il disposait d’une marge de manœuvre dans l’opposition à l’intérieur des institutions de la République.
Il n’avait pas compris que la troisième République de Joseph Kabila ne voulait pas de sa présence encombrante et que tout serait mis en œuvre pour le neutraliser, l’humilier et le tuer, si possible, pour montrer son cadavre au monde entier, comme ce fut le cas pour Savimbi en Angola. Alors que son statut réel était celui d’un mort en sursis, l’ex vice-président et fringant nouveau sénateur se prenait encore pour le chef d’une opposition constitutionnelle. Malgré les nombreux signes du pouvoir qui a tout mis en œuvre pour vider l’UN de toute possibilité d’être un acteur politique de poids dans les institutions de la nouvelle politique, Bemba fit la sourde oreille et s’enferma dans la politique de l’autruche.
Par pure étourderie, il crut encore en la force de riposte et de nuisance de sa garde rapprochée et de ses milices. Cela a signé sa perte. Le président Kabila peut maintenant se pavaner devant les caméras pour demander qui est Bemba et au nom de quel pouvoir il peut exiger des négociations avec le pouvoir. J’imagine que le chef de l’Etat et son entourage ont sablé le champagne pour célébrer leur victoire militaro-politique sur un homme qu’ils ont condamné à mort depuis longtemps. Sabler le champagne dans ce contexte ne peut être que le signe de leur propre étourderie politique face aux attentes profondes de la nation.
S’ils croient qu’il suffit d’éliminer Bemba pour s’emparer éternellement du pouvoir dans notre pays, c’est qu’ils n’ont encore rien compris de ce que notre peuple a comme projet de liberté et de dignité. Je crains qu’ils ne l’apprennent plus tôt qu’ils ne pensent, dans des conditions qui feraient de leur pouvoir et de leur troisième République une coquille vide. S’il y a une leçon à tirer des derniers événements de la «bataille » de Kinshasa, je crois qu’elle ne peut être que celle de nous faire prendre conscience, nous peuple du Congo, que nous sommes entre les mains des politiciens politiquement vides, pouvoir et opposition compris. Ces hommes qui choisissent la violence comme mode de gérer la sortie de notre pays du gouffre de nos souffrances sont dangereux et ils peuvent exploser comme des bombes à nos faces humaines médusées. Nous devons désormais le savoir et imaginer une autre voie pour notre avenir.

QUAND UNE CLASSE DIRIGEANTE EST EN CRISE DE PENSEE

Une autre réalité frappe mon esprit face à notre classe dirigeante : son étroitesse d’esprit et son incapacité à penser correctement notre destinée. Lorsque le Rwanda nous a envahis et qu’il a été impératif pour nous de libérer notre territoire, nous semblions avoir compris que toute épreuve de force nous serait défavorable et qu’il fallait faire jouer à fond les ressorts de la diplomatie.
Longue, fatigante, épuisante et énervante à plusieurs égards, cette voie de la diplomatie s’est montrée payante, à la fois grâce au droit qui était de notre côté et au soutien de nos voisins qui avaient compris qu’il serait ruineux pour toute la région d’Afrique centrale de laisser l’armée rwandaise s’emparer du Congo-Zaïre.
L’une des qualités du président Joseph Kabila était d’avoir compris qu’il n’avait aucune chance de vaincre le Rwanda sur le terrain militaire. Face au discours guerrier et militariste du président Kagame, il a répondu par l’attention patiente aux intérêts de son pays et par une constante politique de la main tendue pour trouver des solutions de paix. Face aux provocations, il a gardé son calme et son flegme naturel l’a beaucoup servi. Qui aurait pu imaginer que la même personne laisserait sortir des canons et des obus pour écraser une petite unité de garde-corps d’un adversaire politiquement fragilisé et presque à terre comme leader d’opposition ? Qui aurait pu penser qu’un même homme réagirait par l’énervement au point de laisser ses militaires massacrer des membres d’un mouvement folklorico-politique comme Bundu dia Kongo ? Qui aurait pu croire que le pouvoir dirigé par cet homme emprisonnerait et laisserait une femme malade et éplorée dépérir dans les geôles de la République comme cela est le cas avec Madame Marie-Thérèse Nlandu ? Ce n’est pas lui qui a décidé de tout cela, répondront les bonnes âmes. Il faudra alors rétorquer que si ce n’est pas lui qui a choisi dans le temps la voie de la diplomatie pour faire la paix avec le Rwanda, si ce n’est pas lui qui a décidé de s’engager dans toutes ces initiatives, qui l’a fait alors à sa place ? Qui a alors le pouvoir dans notre pays? Qui est aux commandes de la nation ? Mon hypothèse est celle-ci : le président nage dans une ambiance globale qui l’empêche de penser comme un chef conscient des intérêts globaux de son peuple. Il est « agi » plus qu’il n’agit devant les grands choix à prendre pour que notre pays rebâtisse l’espoir et devienne une contrée d’espérance.
Pris en tenailles par les parrains internationaux et les faucons de son régime, il vit à l’étroit et souffle profondément du syndrome de l’étroitesse d’esprit.
Dans cette mesure, il ne peut pas voir loin ni viser large dans la construction de l’unité nationale. S’il avait une vaste perspective du destin de la nation, il aurait composé avec Jean-Pierre Bemba et Etienne Tshisekedi, dans le cadre d’une politique de reconstruction nationale qui aurait fait de lui un grand président et un grand homme. Il n’a pas choisi cette voie. Il veut un pouvoir fort, absolu et dictatorial.
Cela risque de le perdre et j’aimerais qu’il sache qu’il a pris la pente de sa propre décomposition politique. Il a vaincu Bemba à l’extérieur, mais il a été incapable de se vaincre lui-même de l’intérieur. Dans le mode des initiés, ce phénomène s’appelle pourrissement et il conduit inexorablement à la mort, spirituellement parlant.
Bemba souffre du même syndrome de pourrissement par étroitesse d’esprit et incapacité de pensée.
Il a une boulimie du pouvoir qui le conduira à sa perte, si cela n’est pas déjà fait. Malgré sa défaite aux élections et sa fragilisation politique, cet homme a d’énormes ressources de caractère comme chef et il est capable de conduire un peuple et de lui tracer une voie d’avenir. En plus, il est encore jeune et il peut organiser une opposition responsable. Il détient, semble-t-il, une richesse colossale qui lui permettrait de se lancer dans le développement du pays et d’asseoir sa popularité sur des œuvres concrètes de promotion humaine. Pourquoi un tel homme s’est-il enfermé dans la volonté de puissance et dans la logique d’affrontement violent avec des adversaires plus armés que lui ? Pourquoi a-t-il dirigé son parti selon les méthodes de potentats et d’autocrates au point de perdre des personnalités de qualité qui auraient pu être des piliers d’une nouvelle politique pour le pays ? La réponse est claire : l’absence de pensée et l’étroitesse d’esprit.
La « bataille de Kinshasa» n’a été que la manifestation de cette double pathologie dont souffrent et le président de la République et son principal opposant. Dans la mesure où ces deux hommes polarisent aujourd’hui la vie politique de la nation, ils ont plongé toute la classe politique dans la mare de leur propre esprit. Je crains que leur maladie mortelle ne se répande partout dans le pays et ne gangrène toute notre vie.
Contre ce risque, il est temps que nos forces de pensée et nos énergies d’humanité soient mobilisées pour faire comprendre à Joseph Kabila et à Jean-Pierre Bemba que nous ne sommes pas leurs marionnettes et qu’ils n’imaginent pas un seul instant nous enfermer dans leur politique de violence et de destruction. Notre pays mérite mieux.
Philosophe et théologien congolais.
source: CongoOne

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