25 avril 2007

RDCONGO: L'espoir est en train de disparaître (La Libre )

Les Congolais sont inquiets de la quasi-absence de leur gouvernement. Deux mois après son investiture, rien n'indique que le travail a commencé.Quatre mois après l'investiture du président élu, Joseph Kabila, et près de deux mois après l'entrée en fonction du Premier ministre, Antoine Gizenga, le désenchantement est palpable à Kinshasa. L'espoir suscité par le processus électoral semble pratiquement disparu. "Il y a eu un petit résultat positif : la fin du régime de transition", honni des Kinois pour sa corruption, dit un employé. "Mais cet avantage a été vite oublié tant les problèmes s'accumulent." Y a-t-il un gouvernement ? Le problème, c'est d'abord et avant tout, pour le Kinois moyen, inquiet, la quasi-absence du gouvernement.
Ce dernier, depuis son investiture, ne s'est réuni que trois fois, dont deux fois brièvement, pour mettre au point un communiqué, et une fois pour discuter de... la vente d'alcool en sachets.
Une action à son actif : la récupération de plusieurs dizaines de voitures appartenant à des ministères et indûment accaparées par l'équipe de la transition, sortante.
Comme les analystes le craignaient, le cabinet Gizenga (1) est plombé par l'âge du Premier ministre (83 ans), qui le rend incapable de fournir l'énorme quantité de travail nécessaire pour remettre le pays en route; par l'insuffisance d'élites dans son parti, le Palu (parti lumumbiste unifié); par l'inexpérience de ses ministres."Au total, la seule partie du gouvernement qui est honnête n'a pas les moyens de rester longtemps au pouvoir", dit un sexagénaire du Bandundu, le fief du Palu et de M. Gizenga. "Je suis inquiet, ajoute notre interlocuteur. A cette allure, on va vers une explosion du cabinet." Volonté ou capacité ? "Le Premier ministre est mou, il ne dit rien, alors on a l'impression qu'il n'y a pas de gouvernement", renchérit un journaliste kasaïen. "On en est revenu à la transition, quand on passait des mois sans voir un conseil des ministres et quand chacun d'entre eux vaquait à ses affaires propres. Le seul changement, c'est que le pouvoir de Kabila s'est accru." "On s'interroge avec inquiétude, dit un autre ressortissant du Bandundu.
Gizenga est-il dans la logique du chef coutumier à qui on a fait des promesses et qui se contente d'être chef, sans se préoccuper de servir ? C'est son bras droit, Godefroid Mayobo", ministre près le Premier ministre "qui a présenté le programme du gouvernement - non chiffré, sans priorité claire ni timing - et prend des décisions à sa place. Gizenga semble n'être pas capable de le faire, parce que voilà des années qu'il est éloigné de la politique, qu'il ne lit pas ni n'écrit." Mais le gouvernement Gizenga peut-il agir ? Les caisses ont été vidées par les politiciens de la transition. "C'est vrai, mais il y a des mesures qui ne coûtent rien", intervient le père Martin Ekwa, un jésuite - originaire lui aussi du Bandundu - très respecté à Kinshasa, directeur du Cadicec, qui forme, depuis des décennies, des cadres et gestionnaires pour les PME. "Gizenga pourrait s'adresser à la population pour la mettre au travail. Il a une autorité morale, les gens l'écouteraient. Or, il n'en fait rien."Séminaires et fêtesLe père Ekwa s'inquiète surtout de "l'inaction. Dans tous les ministères, quand vous appelez, ils sont en séminaire. Moi-même, on m'invite sans cesse à des séminaires - sur une série de sujets qui ont déjà été traités cent fois. Tout se passe comme si personne ne voulait prendre ses responsabilités. Comme si on ne cessait de parler parce que personne ne sait comment entamer le travail. Certains croient qu'ils ont travaillé parce qu'ils se sont réunis, alors qu'il n'y a pas de rapport de réunion, ni de suivi des décisions prises. Et on fait des fêtes !... De très nombreuses nominations à des postes publics ont été fêtées; on vous invite pour cela dans un restaurant à 11h du matin, en semaine; c'est pourtant une heure où chacun est censé travailler... En ville, ce n'est pas comme au village : si vous ne travaillez pas, vous ne pouvez survivre que grâce à la corruption. Si cela continue, au lieu de diminuer, je crains bien qu'elle augmente." (1) M. Gizenga est Premier ministre parce que Joseph Kabila le lui avait promis, entre les deux tours de la présidentielle, en échange d'un appel du patriarche à voter Kabila plutôt que Bemba.
Le premier étant de l'est et le second de l'ouest, on pensait que le Bandundu (ouest) voterait Bemba.Marie-France Crosenvoyée spéciale à Kinshasa Une succession d'événements majeurs.
Le "silence" reproché au gouvernement Gizenga est criant parce que les premières semaines de pouvoir de ce dernier ont été riches en événements majeurs, dont on attendait qu'ils suscitent une nette prise de position. Au Bas-Congo (ouest), les 31 janvier et 1er février, la police, puis l'armée, ont procédé à une violente répression de protestations organisées par la secte politico-religieuse Bundu dia Kongo contre la corruption ayant présidé à l'élection indirecte du gouverneur de province et des sénateurs nationaux, corruption qui a vu des assemblées d'opposition élire des membres de la majorité présidentielle.
La secte a tué 12 personnes, dont 10 policiers; les forces de l'ordre, 104, dont de nombreux civils désarmés, relève Human Right Watch, qui note que les forces de l'ordre ont notamment tiré contre un lieu de culte, tuant 23 personnes innocentes, et juge "disproportionnée et inadéquate" la violence utilisée par le pouvoir. Le gouvernement n'a pas réagi au massacre.
On attend le rapport d'une commission parlementaire.Au Bandundu (ouest), l'armée angolaise est accusée d'occuper militairement 13 villages congolais dans une zone diamantifère. On attend le rapport d'une commission d'enquête parlementaire. Le gouvernement n'a pas réagi mais le ministre de l'Intérieur, le général Kalumé, a donné raison à l'Angola, tandis que celui des Affaires étrangères, Mbusa Nyamwisi, lui donnait tort.
Les Congolais, eux, s'indignent qu'un pays allié ait choisi la force plutôt que la diplomatie pour faire valoir son point de vue. "Cela a donné l'impression d'un manque de respect pour le Congo", explique Azarias Ruberwa.Des violations de la frontière sont dénoncées également dans le massif du Ruwenzori (Nord-Kivu) de la part de l'Ouganda; au Nord-Katanga, de la part de la Zambie; en Province orientale, de la part de nomades Peuls Bororos. On craint une autre opération militaire angolaise dans la région diamantifère de Tshikapa (Kasaï occidental).
A Kinshasa, les événements des 22 et 23 mars ont donné lieu à un simple communiqué du gouvernement, donnant raison à l'armée. Les ambassadeurs de l'Union européenne, qui chiffrent - sur base de diverses compilations civiles et militaires - le nombre de mort entre 200 et 600, jugent "disproportionné" l'usage de la violence fait alors par le pouvoir.
M.F.C.

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