Les Congolais semblaient épuisés et résignés face
au pouvoir imposé à Kinshasa par les guerres d’agression et de massacres que
subit le pays depuis 1996. Toute manifestation contre le régime de Joseph
Kabila doit se terminer par des cas à la morgue, au cimetière, aux urgences
et de disparitions forcées. C’était donc un peuple face à un régime de la mort,
et les gens ont fini par perdre patience à force de se faire tuer. Ni la « communauté
internationale », ni les « amis du peuple congolais »
ne se bousculaient pour venir en aide à un peuple qui se faisait littéralement
massacrer au quotidien. Il fallait donc attendre le messie, et il est arrivé du
côté de Maluku. En effet, à force de tuer et d’enterrer les populations, la
terre finit par refuser les cadavres. Et, n’ayant plus où aller, les morts
remontent à la surface.
Il ne fait plus l’ombre d’un doute que les 425 cadavres retrouvés dans un charnier au cimetière
de Maluku, près de Kinshasa, sont les victimes des répressions barbares que
mène le régime de Joseph Kabila contre ses opposants et la population.
Tous les efforts visant à expliquer cette macabre découverte ne convainquent
plus personne.
Les ministres bégayent et se contredisent entre eux, et il n’y a rien
d’étonnant. Dès le soir du 19 janvier, les témoins à Kinshasa décrivaient des « scènes
de guerre généralisées dans la capitale » et « des victimes
qui devraient se compter par centaines et non pas par dizaines ».
Des diplomates à Kinshasa, mis au courant des horreurs qui se commettaient,
avaient discrètement prévenu les autorités qu’elles pourraient un jour avoir à
répondre de ces tueries devant la justice. Mais ils ne firent pas davantage
pour arrêter le massacre et on passa à autre chose. Il faudra donc attendre que
« les cadavres parlent » pour que le cri de détresse d’un
peuple trucidé soit entendu à travers le monde. Maintenant c’est fait.
Le règne des massacreurs
La République Démocratique du Congo est ce pays où
plus de six millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été impunément
envoyés à la mort depuis 1996 lorsqu’une guerre partie du Rwanda amena à
Kinshasa les dirigeants actuels. Depuis, l’actualité du pays est inlassablement
morbide. Des massacres quasiment chaque semaine, des manifestants tués par
l’armée et la police, des femmes violées, bref, l’enfer. Le pays est tout
entier devenu un abattoir à ciel ouvert et une gigantesque scène de crime avec
des sites de massacres qui ne se comptent plus. Massacre des manifestants
contre la loi électorale (janvier 2015), massacre de Ndjili contre les
militants de l’UDPS (2011), massacres des adeptes du Bundu dia Congo,
massacre des Enyelés, massacres des adeptes du Prophète Mukungubila (Kinshasa,
Lubumbashi), massacre de l’Opération Likofi, massacres de Kisangani,
massacres de Butembo-Kikyo, massacre de Kyavinyonge, massacre de Kiwanja,
massacres de Makobola, Kasika, Kiliba, massacre de Mutarule, massacres de Beni,
massacre de Mwenda, massacres de Mwenga,… Que deviennent les auteurs de ces
massacres ? Soit ils sont déjà dans l’armée et la police, et conservent
leurs poste en attendant de recommencer à massacrer, soit ils sont dans des
groupes armés parrainés par le Rwanda et l’Ouganda et obtiennent des amnisties[3].
Ils intègrent l’armée et la police et se mettent, comme leurs camarades, à
massacrer sous l’uniforme, ce qui est plutôt « confortable ».
Toutes les tentatives visant à créer un tribunal
pénal international pour juger ces « massacreurs » ont échoué.
Les massacres des Congolais peuvent ainsi se poursuivre parce que l’impunité
est là. Les Congolais ont beau crier aux quatre coins de la planète. Personne
ne leur vient en aide. La Cour pénale internationale (CPI) est muette
comme une carpe. Les grandes démocraties se taisent et caressent Kabila
dans le sens du poil. Pourquoi ? Kabila est l’homme qui signe des
contrats léonins qui ruinent le Congo mais qui font le bonheur des oligarques
anglo-américains. Il vaut donc mieux se taire sur les massacres pour ne pas
énerver l’homme qui permet aux multinationales d’engranger des profits
faramineux et aux mafieux de tous poils de dissimuler les bénéfices tirés du
pillage du Congo dans des paradis fiscaux. Et il y en a pour toutes les
filières : du cuivre, du cobalt, du diamant, de l’or, du pétrole, de la
cassitérite, du coltan (pour nos téléphones portables), de l’uranium, du
manganèse, du zinc, du platine, de la bauxite, du bois, des terres agricoles,…
bref le paradis pour toute personne qui rêve de faire fortune en se contentant
de tuer des populations. Impunité garantie ! Et du monde se bouscule aux
portes de Kabila. Donc, silence, on tue…
La révolte des macchabés
Seulement voilà. Puisque les vivants ne veulent pas
dénoncer le massacre, alors les morts vont parler à la place des vivants. Ils
ont beau être traités d’« indigents » par le régime,
ils ont un message à faire entendre et ils n’ont plus rien à perdre. Ainsi
cette nuit du 19 mars, des cadavres de trop vont être jetés, comme d’habitude,
dans une fosse commune. Comme des immondices. Les escadrons de la mort du
régime sont sans doute exténués à force de tuer et de se trimballer toute ces
années avec de macchabés. Ils vont donc les jeter là, à la sauvette et repartir
tellement il y a du boulot. Sauf que la terre congolaise n’en veut plus.
Six millions de morts, c’est assez ! Mais que vont donc faire ces
cadavres que la terre refuse ? Les macchabés n’ont pas le choix. Ils
doivent « manifester » pour se faire entendre.
Une odeur nauséabonde va se répandre sur la commune
de Maluku. C’est leur seule façon de s’exprimer. Le « message » et
entendu à 100 % par les riverains, « les vivants », ou
plutôt les « survivants » du régime sanguinaire. Comme tout
Congolais, les habitants de Maluku savent qu’ils ne doivent surtout pas
dénoncer les « manifestants » auprès des autorités. Au
Congo on tue les manifestants. Les 425 « manifestants »
d’outre-tombe risquaient une seconde mort (incinérés ou coulés dans le
fleuve ?...). Non, il faut protéger ces braves « compatriotes ».
Les Congolais (les vivants) vont donc se confier à la Monusco, la
Mission des Nations Unies au Congo. Excellente initiative ! Depuis, le cri
des morts du Congo a été entendu à travers le monde. De nombreux analystes
estiment que les gémissements et les larmes du peuple congolais ont enfin été
entendus et vus. Et que le régime de Joseph Kabila court à présent à sa
perte. Peu importe.
Au moins ici se réalise de la plus remarquable des
manières une sagesse africaine que nous enseigne Birago Diop:
« les morts ne sont pas morts ; ceux qui sont morts ne sont jamais
partis ». Et ils sont revenus à Kinshasa pour le faire savoir. La
révolte des macchabés !
Boniface MUSAVULI
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