Le Prof Tshiyembe Mwayila, directeur de l’Institut panafricain de géopolitique de Nancy (France). Cette fois, notre invité explique – c’est nouveau - les défis de l’éclatement prochain du pays en 26 provinces. Il plaide également pour une saine alliance entre le savoir et le pouvoir.
Dans quelque trois ans, la République démocratique du Congo comptera 26 provinces au lieu des 11 actuelles. Que peut inspirer à un spécialiste de la géopolitique ce découpage prévu par la constitution?
Disons que si la création des 26 provinces entre effectivement en vigueur, le pays connaîtra une mutation géopolitique sans précédent, pour la simple raison que le monde l’attend au tournant. Le pays devra affronter la révolution à bouleversement vers le haut, à travers la mondialisation. Cette révolution est la faculté pour les Etats de se recomposer, de se massifier autour d’un grand ensemble pour avoir une taille critique qui leur permette de faire face aux enjeux de la mondialisation. On le voit avec les Usa autour de l’Alena. On le voit avec le Brésil autour de Mercosur. On le voit avec l’Union européenne. On le voit avec les Etats continents comme l’Inde, la Chine, etc. On voit aussi l’Union africaine, qui est une recomposition de la géopolitique africaine vers le haut. Concernant lle continent, on ne sait pas si concrètement il est question d’une nouvelle gouvernance régionale, ou à tout le moins, d’une mutation vers une certaine supranationalité. On n’y est pas encore Mais tous se positionnent dans le champ mondial.
S’agissant de la prochaine configuration de la Rdc, disons que sa nouvelle mutation, ou sa régionalisation, est à la fois un défi et une vulnérabilité. Un défi dans le sens que, pour une fois, si le pouvoir mis plus près des citoyens se réalise dans les fins avec les compétences et les moyens voulus, notre pays mériterait en ce moment là son qualificatif de ‘République démocratique du Congo’. Parce que, pour une fois, on aura mis le pouvoir là où il fallait le mettre depuis une quarantaine d’années. Que va-t-il en résulter ? Partons du constat : non seulement l’ensemble de la population du Congo, tout au moins les grandes agglomérations, se trouve sur les frontières. En outre, à ce jour, les ressources exploitables ou exploitées du pays connues se trouvent également sur la frontière. Maintenant que ces zones frontalières, ces régions, vont récupérer non seulement une autonomie de gestion mais aussi une autonomie politique, il y aura un basculement automatique. Exemple : la province du Lualaba sera plus tournée dans la recomposition géopolitique interne vers Dilolo, qui ouvre sur l’Angola. De même que le Nord-Ubangui se tournera vers la Centrafrique, le Nord- et le Sud-Kivu se tourneront vers Mombassa au Kenya. Ces mutations vont influencer le repositionnement de notre pays vis-à-vis de son environnement international. En plus, l’identité provinciale sera remise en cause. Un citoyen de la province du Lualaba n’est plus katangais. Seuls les citoyens du Haut-Katanga peuvent revendiquer ce statut. Dans les deux Kasaï, ne survivront comme Kasaïens que les citoyens de la nouvelle province nommée Kasaï, en fait l’actuel district comprenant les territoires de Tshikapa, Luebo, Mweka, Ilebo et Dekese. Bref, les identités provinciales actuelles vont éclater dans plus ou moins trois ans pour donner naissance à de nouvelles. On sait quel rôle déterminant jouent celles-ci dans la vie politique. C’est donc un défi gigantesque. S’il est abordé dans le sens de la compétitivité, de l’innovation entre les provinces, en ce moment là, on est dans le positif. La régionalisation sera un gain. Mais si, en revanche, les choses ne se passent pas comme dans le premier scénario, par exemple : qu’un citoyen de la province du Lualaba ne soit pas accepté comme gouverneur dans le Haut-Katanga, que celui de la province de Kabinda ne soit pas toléré au Sankuru, on aura échoué. Ces questions, aujourd’hui existentielles, il faut se les poser pour créer les conditions qui distinguent la capacité pour chaque province d’avoir des hommes et des femmes compétents pour sa direction, quel que soit par ailleurs le terroir d’où ils pourraient sortir. Alors, si c’est dans ce sens que se dirigerait le mouvement, il serait à tous points de vue positif pour le pays, parce que nous serons inscrits dans la compétition, dans la globalisation telle qu’elle joue déjà au niveau mondial. Mais si par malheur ça nous ramène au terroir, à la discrimination, on risque de tomber dans l’épuration ethnique. On risque des lendemains qui déchantent. Ceux qui pensaient être entrés dans le processus de libération politique, économique, etc. risquent de sombrer dans la médiocrité et dans les règlements des comptes.
Les observateurs ont l’impression que ce sont les politiciens qui ont élaboré le projet de constitution. On dirait que les intellectuels ont failli à leur mission. Votre commentaire…
On peut parler de la faillite tant que les élites n’ont ni assumé leurs responsabilités ni indiqué le chemin à la société. Je ne dis pas qu’ils doivent résoudre tous les problèmes de la communauté. Néanmoins, le rôle de l’intellectuel est d’être l’aiguillon, de scruter l’avenir, d’anticiper. Il devrait, à partir de son espace professionnel, pouvoir dire : «Voici ce qui me paraît être le chemin pour notre pays». Qu’il propose des solutions réalistes, irréalistes ou idéalistes, là n’est pas le problème. L’important c’est dans le résultat de ce que l’on suggère. L’important c’est tirer la sonnette d’alarme au bon moment, dire ce que l’on peut faire et ce que l’on ne peut pas. Cet exercice finit par soulever le débat. La suite du débat permet d’éclairer l’opinion des uns et des autres. Finalement, le débat aboutit à faire adopter une position médiane, le centre. Or le débat sur la constitution n’a pas eu lieu pour la simple raison que le gouvernement avait compté sur les experts étrangers, qu’il avait du reste invités. Attention, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur ces hommes et ces femmes. Ils ont dit ce qu’ils avaient à dire. On s’attendait à ce que, après leur départ, le parlement mène le débat devant le pays. Tout le monde sait dans quelles conditions le bébé a été refilé à notre parlement. Donc, dans la précipitation et sous la pression de la communauté internationale, le parlement et la Commission électorale indépendante ont fait adopter la constitution, sans au préalable se préoccuper d’expliquer son contenu au peuple. Il y a eu vote tout simplement parce que la volonté populaire d’en finir avec la transition est très forte. C’est ainsi que les enjeux de la 3ème République, entre autres la régionalisation, sont inconnus de bon nombre d’électeurs. Cette ignorance risque d’hypothéquer l’avenir du pays.
La régionalisation, dites-vous, tire le pays vers le bas, pendant que la mondialisation le tire vers le haut. Comment concilier les deux antagonismes ?
Notre République est en train de se refonder, ou de se chercher. Là où les Etats existent, l’Etat est tiré vers le haut par ce besoin de massification que j’ai expliqué plus haut. Quelle est la définition de la république demain ? Quel contenu donner à un Etat républicain face à ces mutations qui le tirent vers le bas, c’est-à-dire régionalisation interne ? Que faire pour intégrer la régionalisation internationale, donc basculement dans la mondialisation (vers le haut) ? Quel sera le lieu du pouvoir, qui va le définir, pour faire quoi, avec quels moyens, pour quels objectifs ? Les enjeux du futur nous interpellent, que nous ayons lu, ou non, la constitution. C’est notre devoir de sonner la charge pour dire : « C’est maintenant qu’il faut repenser ce mouvement global vers le haut et vers le bas, et nous donner les moyens de redéfinir une République nouvelle, qui soit adaptée à ces enjeux de la mondialisation».
Comment expliquez-vous l’inadéquation entre les élites congolaises et leur rendement professionnel surtout lorsqu’elles s’engagent dans la politique?
Certes, on ne voit pas l’impact réel des études sur le changement social de la communauté. Les gens se demandent comment ils peuvent avoir un pays aussi gigantesque, aussi potentiellement riche mais figurant parmi les plus pauvres de la terre ! Ce pays vit-il une malédiction généralisée ? Les élites existent-elles ou ont-elles démissionné ? Faut-il un diplôme pour accéder à tel ou tel niveau de responsabilité ? Je crois que l’enjeu n’est pas le fait du diplôme. Il y a plutôt inadéquation entre le savoir et le pouvoir. Le drame dans notre pays, comme dans d’autres pays sous-développés, c’est qu’il n’y a pas d’alliance structurelle entre ceux qui gouvernent et ceux qui savent. Autrement, l’absence du pacte social entre le savoir et le pouvoir fait que chacun regarde dans sa direction. Les gouvernants se méfient de ceux qui savent, ceux-ci se méfient de ceux-là. Résultat : le courant ne passe pas. Ce courant ne passe que dans des compromissions autour soit des bakchichs, soit des ralliements. Non pas des ralliements sur base des idées. Loin de là. La sagesse recommande pourtant que le savoir soit la lampe qui éclaire le pouvoir. Tant que le pouvoir combattra le savoir, ou vice versa, nos sociétés resteront privées de progrès. Il faut, en définitive, créer une saine alliance entre le savoir et le pouvoir. C’est dans l’intérêt du peuple et de la nation.
AVEC FREDDY MULUMBA ET BEN-CLET du journal le potentiel.
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