15 octobre 2006

RDCONGO: Déchéance ou démission des intellectuels-universitaire en République Démocratique du Congo.

Un point de vue de Freddy mulumba kabuayi.
Existe-t-il des intellectuels en République démocratique du Congo ? Telle est la question que se posent certains observateurs de notre pays. Aujourd’hui, il est rare de voir ceux qui ont été à l’école de blancs prendre position d’une manière désintéressée sur des questions centrales touchant à la vie politique, économique et sociale de notre population. Désabusée et déboussolée, celle-ci ne sait à quel saint se vouer. Misère, pillage de richesses du pays sous nos yeux sont devenus les lots quotidiens sans que des voix s’élèvent pour les dénoncer. Tout le monde mange. Et une bouche qui mange ne parle pas surtout quand elle est pleine. Déchéance ou démission ?
PEUR DE PERDRE LES PRIVILEGES
En partant du portrait dépeint par l’écrivain congolais, N’gal, l’intellectuel est caractérisé par trois éléments. Primo, un intellectuel se définit par référence à une société donnée. Il a conscience et incarne la conscience de sa société. Secundo, il doit avoir la capacité de réflexion critique à l’égard de sa société, capacité de pouvoir penser sa société, sa communauté. Tertio, il doit pouvoir s’exprimer d’une manière ou d’une autre. Et cela librement.
Ce portrait de l’intellectuel est devenu rare dans notre pays. Voitures, maisons et l’argent facile ont rendu aveugles ces nouveaux « évolués », une fois au pouvoir ou aux cotés du pouvoir. La dénonciation a cédé la place à la délation. Ces intellectuels deviennent les têtes pensantes du régime pour réprimer ceux qui refusent de vendre leurs âmes.
A cet égard, le calvaire subi par Pius Ngandu Nkashama, alors professeur à l’université de Kinshasa, sous la deuxième République, est éloquent. Son recteur fut chargé de le torturer moralement en lui privant son salaire. Question de le pousser à tomber dans les bras du régime. Pius Ngandu finira comme VY Mudimbe par fuir le régime Mobutu pour aller s’installer en Occident où il donne cours à l’université.
Par ailleurs, il faut remarquer que les universitaires congolais, bien que conscients, ont difficile à accepter de perdre leurs privilèges. Cette situation les contraint à s’accrocher à leurs postes malgré les torts qu’ils causent à la nation et à la société congolaise. Quel universitaire peut accepter du jour au lendemain de marcher à pied sous le soleil parce que le pouvoir a ravi sa voiture du fait d’avoir dit la vérité ? D’ailleurs on le voit : une fois chassé du cabinet ministériel, l’universitaire congolais cherche à tout prix à revenir dans le sillage du pouvoir.
Quelle interprétation peut-on faire de la déclaration du conclave du Mont Amba – prise de position de l’université congolaise sur les enjeux politiques de l’heure en rapport avec les incidences des élections sur la paix et le développement durable de la Rdc ? Au lieu de défendre le statut du professeur et l’amélioration des conditions de son travail, 79 professeurs et cadres universitaires sollicitent de participer activement à la conception des politiques et des programmes et à l’évaluation périodique de l’état de la nation, à la lumière de la vision du développement durable de la Rdc.
Cette déclaration de mont Amba s’apparente à un appel au pied des universitaires à l’élite au pouvoir et à la communauté internationale. Il apparaît clairement que ces universitaires ne semblent contents de leur statut de professeurs. Ils sont attirés par le statut social que leur donne le pouvoir politique. Ainsi, on peut paraphraser VY Mudimbe qui a écrit, il y a 36 ans, que la classe des intellectuels paraît donc caractérisée par une conscience nette de ses virtualités pour la puissance mais aussi de sa vulnérabilité.
En tous les cas, durant cette transition, le peuple en a vu de toutes les couleurs. La peur de perdre les privilèges s’accommode bien avec la perte de prestige.
ABSORPTION DES INTELLECTUELS
La misère aidant, une bonne partie des universitaires est sollicitée par les organisations internationales ou les organisations non gouvernementales. Les structures de ces organisations ont leurs principes : devoir de réserve. Pris dans cet engrenage, les universitaires congolais ne peuvent pas formuler publiquement des critiques sur les décisions prises par les institutions pour lesquelles ils travaillent. Les critiques peuvent leur coûter leurs postes. D’où leur silence.
Par contre, ils sont obligés lors des séances publiques de soutenir le discours des institutions internationales qui sont pourtant à la base de l’appauvrissement de leurs populations avec des politiques économiques et environnementales inappropriés. A cet égard, les politiques d’ajustement structurel imposées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont appauvri la Rdc, et cela avec le soutien des universitaires congolais qui sont dans ces institutions. Et chose grave, ces théories ont été enseignées dans nos universités.
Après l’échec des politiques d’ajustement structurel, voilà des concepts idéologiques : bonne gouvernance et lutte contre la pauvreté. Cet évangile a trouvé de nouveaux apôtres parmi les universitaires congolais. Conférences débats, séminaires…, tout est concentré sur la lutte contre la pauvreté. Ce discours est extrêmement dangereux pour notre population. Le risque d’intérioriser et de tuer à la longue toute initiative et prise de conscience de causes du pillage de nos richesses, est pour le moins élevé.
PAS LA FIN DE L’HISTOIRE
Tout compte fait, ce n’est pas la fin de l’histoire, il ne faut pas perdre l’espoir. Le redressement de la situation de notre pays viendra en grande partie des intellectuels et cadres universitaires de la diaspora. Du moins, une certaine partie de celle-ci est à l’abri de la corruption, de la culture de la cueillette. La question qui mérite d’être posée est celle de savoir si cette diaspora est conscience de sa mission. L’histoire des peuples ne se déroule pas en ligne droite, sur une surface plane ; un peuple s’affirme en surmontant les épreuves que lui réservent ses échecs aussi bien que ses succès. Il progresse de crise en crise. Cette phrase du penseur français, Raymond Aron, devrait faire réfléchir ce qui reste encore en fait d’intellectuels.

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