22 février 2006

Lettre ouverte à Monsieur Joseph Kabila, président de la RDCongo.


Monsieur le Président,

Nous, membres de Solidarité Shirika la Kivu, autant que tout Kivutien et tout Congolais digne, suivons avec intérêt la situation qui prévaut dans notre pays.
Monsieur le président, il y a cinq ans que vous êtes à la magistrature suprême de notre pays. Sans doute, la gestion d’un pays à peine sorti d’une longue guerre qui l’a laissé exsangue n’est pas facile. Néanmoins, au bout de cinq ans de pouvoir, vous pouvez vous estimer avoir fait un mandat à la tête du Congo. Cinq ans de pouvoir, cela veut dire que des plans quinquennaux sont arrivés à terme. Au bout de cinq ans de votre pouvoir, donc, vous avez l’obligation de faire un rapport de vos réalisations, s’il y en a eu. Le peuple congolais, qui vous a laissé gouverner le pays pendant cette période assez longue, a le droit de vous demander des comptes sur la manière dont vous avez mené les affaires publiques. Mais puisque vous tardez à faire le bilan de vos cinq ans de gestion, nous, Solidarité Shirika La Kivu, sommes obligés de vous devancer et d’exprimer notre constat.

Monsieur le président,

Contrairement à ce que disent les membres de votre parti, nous ne pouvons pas dire que votre règne a été couronné de succès. Quoique nous puissions reconnaître un semblant de disparition de la partition du Congo depuis votre avènement au pouvoir, nous constatons, néanmoins, que la pacification et l’intégrité de l’Est du pays sont loin d’être une réalité. Il nous apparaît même que la sécurisation des populations de l’Est est le moindre des soucis de votre administration.
Il y a presque deux ans déjà, Jules Mutebusi et Laurent Nkunda se sont livrés à des actes qu’aucun dirigeant de ce monde ne peut en aucune manière tolérer, actes qui méritent des sanctions très sévères et exemplaires. Dans les deux cas vous vous êtes distingué par un grand silence similaire à celui que l’ensemble de la communauté internationale a observé et continue à observer devant les exactions dont sont victimes les populations congolaises. Ignoreriez-vous ou oublieriez-vous que vous êtes l’autorité suprême du pays et le commandant en chef de l’armée congolaise ? On annonce des défections des militaires ici, des mutineries et des insurrections là-bas, et tout cela sous vos yeux, alors que les responsables sont nettement identifiés, mais jamais inquiétés.
Le peuple a attendu en vain la réaction de la haute hiérarchie militaire; l’annonce de l’envoi de dix milles militaires afin de mettre fin aux crimes commis contre le peuple s’est matérialisé par la mobilisation et le largage au front de quelques hommes sans moyens de communication, ni munitions, ni nourriture. Quelle performance pouvait-on s’attendre d’une si piètre armée, sinon de se faire massacrer ou de fuire devant l’ennemi ?
Depuis l’émission du mandat d’arrêt par la communauté internationale contre Nkunda et l’annonce des officiels rwandais de mettre Mutebusi en demeure, ces deux criminels n’ont toujours pas été mis hors de l’état de nuire. Le gouvernement que vous dirigez semble totalement incapable et absent devant cette situation, il n’ose même pas se poser la question de savoir ce que pourrait être la prochaine étape pour ces officiers criminels. Sont-ils plus forts ou mieux équipés que l’armée de tout un pays dont vous êtes le commandant suprême ? Attendez-vous que les troupes onusiennes fassent le travail à votre place ? Ces troupes se tiennent d’ailleurs en spectacles amusés devant tant de scènes d’atrocités.
Nous sommes outrés de voir que tous les dignes fils du pays, qui ont osé organiser ce qui nous reste des combattants afin de bouter l’ennemi dehors, ont été rappelés à Kinshasa pour les éloigner du front. Pendant ce temps, ceux qui sacrifient la population pour le compte de nos ennemis et sèment la terreur, sont confortablement installés, tel est le cas du commandant Agolowa au Sud Kivu, de Tango Fort et du gouverneur Serufuli au Nord Kivu. Nous assistons à la continuation du jeu lancé par la communauté internationale, qui consiste à récompenser les assassins du peuple congolais par l’octroi des postes importants dans la gestion du pays. Seriez-vous en train de jouer ce jeu dangereux pour jouir du soutien de la communauté internationale ?
Monsieur le président,
Voici ce que coûte l’envoi au front des soldats démunis de moyens de subsistance : ils se transforment rapidement en brigands, semant la terreur sur la population civile, comme c’est le cas récemment à Mwenga. Et comme si vous croyiez que le peuple congolais a une courte mémoire, vous avez annoncé l’installation de votre quartier général à Bukavu, pour faire semblant de vous préoccuper des problèmes quotidiens auxquels nos populations sont confrontées.
Le comble d’ironie et que la désolation semée par les éléments de FARDC sur ces populations oubliées et abandonnées à leur propre sort se passent à quelques kilomètres de votre futur quartier général. Pouvons-nous croire que vous en soyez complètement ignorant ?
Loin d’être un signe de votre souci pour la sécurité des populations du Kivu, le choix de Bukavu comme votre quartier général nous paraît dicté par des mobiles électoralistes.
Nous l’avons déjà exprimé dans notre communiqué du 30 décembre 2005, dans lequel nous avons attiré l’attention du public sur le caractère louche du soudain intérêt que vous portez sur le Kivu à l’approche des élections.

Qu’avez-vous fait concrètement pour sécuriser l’est du pays ? Votre leitmotiv de lutte contre les Interahamwe est de nature à plaire plutôt au Rwanda qu’au Congo. Vous ne prononcez aucun mot sur Nkunda et Mutebusi, pourtant deux éléments dangereux qui menacent directement le Kivu.
En date du 11 janvier 2006, le commandant Jean Marie She Kasikila de la 5e brigade militaire annonçait que le 9 janvier 2005, un hélicoptère rwandais avait atterri à Nyanzale, localité située à cent kilomètres de Goma. Selon l’AFP, l’appareil y avait déposé armes et munitions vraisemblablement pour le compte de Nkunda et Mutebusi.
Deux jours plus tard, soit le 13 janvier 2005, votre conseiller spécial Katumba Mwanke, accompagné de hauts officiers militaires, effectuait une visite, qualifiée de secrète, à Kigali où il avait été reçu par le président rwandais Paul Kagame en personne. On ne saura peut être pas la portée de cette visite, néanmoins les jours qui ont suivi nous apprenions que Nkunda reprenait le contrôle de certaines localités du Nord-Kivu.
Environs deux semaines plus tard le président rwandais affirmait fièrement, dans un entretien qu’il accordait au journaliste François Soudan de Jeune Afrique, le 29 janvier 2005, qu’il entretient de très bonnes relations avec vous et que vous vous rencontrez régulièrement. Est-ce pour faire plaisir à Paul Kagame que vous ignorez ses crimes commis contre les Congolais ? Votre amitié est-elle plus importante que les viols collectifs commis sur des femmes devant leurs proches ?
Votre fidélité à Kagame est-elle si forte au point de vous faire oublier que ses soldats porteurs du VIH, envoyés spécialement au Congo pour en y répandre ? Il nous paraît qu’il n’y a pratiquement que des zones grises dans votre agenda. Le temps nous le dira !
Et que pensez-vous du dossier de Minembwe. Ce n’est pourtant pas loin de Bukavu ! N’est ce pas des membres de votre gouvernement qui s’acharnent pour le transformer en territoire, sans que vous ne réagissiez ? Votre «amour du Kivu» s’arrête-t-il à installer le quartier général a Bukavu ? Savez-vous au moins que le Kivu ne se limite pas à Bukavu ?

Après toutes ces observations, Solidarité Shirika La Kivu tire les conclusions suivantes :

Votre règne n’a pas répondu au vœu le plus profond des Congolais, et particulièrement des Kivutiens, le vœu de vivre en sécurité et dans un Congo uni.
Vous avez concentré vos efforts plutôt à plaire aux ennemis du Congo, principalement les voisins et la communauté internationale, qu’à redonner la dignité aux Congolais.
Vous avez réussi à maintenir un climat d’insécurité au Kivu, en instaurant un système d’impunité, afin que l’instabilité de l’Est du pays vous serve de prétexte pour vous accrocher au pouvoir.

Nous vous rappelons qu’à chaque fois les intérêts du Congo en général et du Kivu en particulier, seront menacés, nous allons être sur le chemin de tout individu ou institution qui en sera responsable ou complice de près ou de loin. Le monde tente de nous faire avaler le langage selon lequel les Congolais sont fatigués de la guerre, nous disons clairement qu’ils se trompent car, nous ne le serons jamais tant que nous n’aurons pas obtenu ce que nous recherchons : La paix dans toutes les limites de nos frontières et la direction de notre pays par des personnes et des institutions de notre choix.

Recevez, monsieur le président, l’_expression de nos sentiments patriotiques.

Fait à Ottawa, le 20 février 2006,

Pour Shirika la Kivu,
Ntamwira Serge, Président
Ottawa, Ont.
Canada

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