Par Kä Mana. Article publié par le potentiel.
DEUX IMAGES, UNE CRAINTE
Au Cameroun où je vis actuellement, deux images de la situation de la RDC ont été diffusées il y a quelques jours par la télévision. Elles m’ont donné à réfléchir par les contrastes qu’elles révèlent dans la vie politique de notre pays et par les questions qu’elles soulèvent dans mon esprit.
La première image présente une manifestation publique dispersée par les forces de l’ordre à coup de matraques et de gaz lacrymogène. Cette manifestation n’était qu’une marche pacifique des militants d’un parti de l’opposition qui réclamaient le dialogue social et politique entre tous les acteurs engagés aujourd’hui dans le processus de sortie de crise pour la nation. A cette demande non-violente où une partie de notre population cherchait à exprimer sa vision de l’avenir de la patrie, le pouvoir en place a répondu par l’absurde brutalité de la violence destructrice.
La deuxième image est celle de la rencontre des représentants de l’Organisation des Nations unies (Onu) avec le chef de l’Etat et quelques membres de son entourage. Au menu de cette rencontre : les élections et l’impératif de les organiser conformément au calendrier déjà établi. Quel lien y a-t-il entre ces deux images ? Il est dans le fait que les forces de l’ordre sont intervenues contre les manifestants pour les empêcher d’aller troubler la quiétude du dialogue entre les autorités congolaises et les représentants des instances internationales. Ceci est très révélateur sur l’état actuel de la nation.
Nous nous trouvons dans une situation où se révèle la logique profonde de la politique de nos dirigeants. Quand il s’agit des revendications des congolais pour une recherche de la voie la plus propice de sortie de crise face aux blocages dont souffre notre pays, le chef de l’Etat n’a pas d’oreilles. Il s’en tient à une rigidité étonnamment irresponsable pour un garant de l’unité du pays. Dès qu’il s’agit d’aller se courber devant les représentants des institutions internationales pour recevoir, clairement ou diplomatiquement, des ordres sur ce qu’il devra faire, le président de la République se précipite et refuse d’être dérangé par les doléances pacifiques de son propre peuple.
Il fait usage de courbettes face à la communauté internationale en même temps qu’il ne connaît face à l’opposition politique que les vieilles méthodes de la bastonnade et du gaz lacrymogène contre les manifestants. Il est aberrant que l’autorité suprême d’une nation s’enferme dans une telle logique, qu’il décide de s’accommoder d’un système qui, un jour ou l’autre, détruira son propre pouvoir. La violence de l’autisme politique qu’il se donne comme mode de gestion de l’Etat est une logique qui détruit la nation. Il ne s’agit même pas d’une logique. Il s’agit de la déraison et de l’enfermement dans la pure et simple absurdité où s’effondrent tout sens des réalités et tout réalisme politique dans la situation de tension qui est la nôtre aujourd’hui. Parce qu’il se croit porté, soutenu, choyé et guidé par la communauté internationale, notre président est en train de s’engager sur la voie de la violence et de la déraison. Pour notre pays, c’est la voie de la perdition. Mobutu y a perdu le pouvoir. Laurent-Désiré Kabila y a perdu la vie. Je crains que Joseph Kabila n’y perde son âme.
LA DERAISON D’UN POUVOIR AUTISTE
Déjà maintenant, le président est en train d’y perdre la consistance de toute sa personnalité. En effet, parmi les qualités que ses griots ne cessent de nous vanter au jour le jour pour l’imposer à notre imaginaire comme le meilleur des candidats à l’élection présidentielle, j’ai noté que rayonnent dans le discours les qualités de calme, de pondération, de mesure, de sagesse aimable, de réflexion silencieuse et de force attachante.
Le griot et propangandiste Dominique Sakombi Inongo a, dans une récente interview, exalté les dimensions exceptionnelles du chef de l’Etat actuel, exactement comme il avait dans le temps vanté les vertus surhumaines de Mobutu et les qualités herculéennes de Laurent-Désiré Kabila, « l’homme qu’il nous fallait ».
Depuis que notre pays est entré dans un processus électoral à hauts risques, je constate de jour en jour que le président Joseph Kabila perd le sens de la mesure, de la pondération, de l’amour de son pays et de la force attachante par laquelle il donnait une impression de sagesse tranquille et de confiance rassurante. Il a adopté le discours et les attitudes des faucons de son régime. Il ne sait plus écouter les exigences de son propre peuple. Il méprise ses adversaires. Il s’est emmuré dans l’obsession du pouvoir fort et cherche par tous les moyens à s’assurer une victoire électorale dès le premier tour. Cette obsession le gonfle d’un orgueil démentiel et l’aveugle complètement. Alors qu’il répondait jusqu’ici par une attitude d’aigle face à ceux qui remettent en cause sa congolité, on le voit maintenant descendre dans la boue de ce débat sans consistance, au point de confier à une avocate congolaise le soin d’intenter des procès en Europe à tous les journalistes et les médias qui enfourcheraient le cheval de la congolité douteuse du chef de l’Etat dans l’actuelle campagne électorale. Son entourage cherche maintenant à faire rayonner l’image de la congolité indubitable et immaculée dont jouit le Prince. Manifestement, le chef de l’Etat n’a plus son légendaire sang-froid. Son agressivité se libère peu à peu et il cède de plus en plus à la tentation et aux pratiques de la violence comme art de gouverner son peuple.
De deux choses l’une : ou le président a réellement comme fond de personnalité la sagesse attachante d’un dirigeant qui veut, dans le calme et la sérénité, tout le bonheur auquel son peuple aspire, comme l’affirment ses thuriféraires les plus exaltés ; ou il a jusqu’ici usé d’un bluff monumental pour nous faire croire qu’il est l’homme du rassemblement des forces créatrices du pays, alors qu’il n’est qu’un chef de clan, le conducteur d’une cohorte de prédateurs dont il assure et garantit les intérêts.
S’il est ce qu’il nous a donné à voir jusqu’ici, il faut qu’il change tout de suite d’orientation de sa vision politique du pays et qu’il s’engage dans un dialogue constructif avec les familles politiciennes que l’approche des élections aide à constituer petit à petit. Si, en revanche, il veut devenir ce que les faucons de son clan veulent faire de lui, il perdra toute légitimité dans nos esprits et ne sera plus digne de devenir notre président. Il ne lui restera plus qu’à devenir un tyran soutenu par ses propres troupes enragées et par une communauté internationale irresponsable et aveugle.
Pour le président, ce choix est décisif et il faut qu’il fasse savoir clairement ce qu’il veut faire du pays que le destin et les maîtres du monde lui ont confié. Un pays dont il faut maintenant que le peuple accepte de lui ouvrir les arcanes du cœur, de la conscience et de l’esprit créateur, à travers une élection digne de la démocratie que nous devons construire ensemble.
JE M’INQUIETE
Face à cet enjeu, je m’inquiète de la disparition progressive de l’image d’un jeune président tranquille que donnait Joseph Kabila. Un président qui semblait conscient de ses responsabilités et porteur d’espérances du changement pour beaucoup de nos compatriotes déçus par la dictature mobutiste et l’inintelligente brutalité de Laurent-Désiré Kabila. Quand à cette image succède celle d’un homme prêt à tout pour se maintenir au pouvoir et aujourd’hui fermé aux cris et aux appels du peuple qui veut un horizon nouveau face à l’avenir, elle inspire plus que de l’inquiétude. Elle déroute l’esprit et commande une résistance radicale pour tous ceux et toutes celles qui refusent pour nos populations un destin de soumission.
La nouvelle image d’un président incapable d’entendre la voie de son peuple, je la considère comme la voie de la déraison. Une folie de grandeurs qui fera un jour ou l’autre implosé la maison Joseph Kabila, faute d’un véritable sens du dialogue avec l’opposition ; faute, également, de nouveaux liens politiques avec toutes les personnalités qui animent la société civile, alimentent les énergies spirituelles et dynamisent les puissances d’espérance. Aujourd’hui, dans toutes les forces vives de la nation, des voix s’élèvent pour faire comprendre au président de la République que la grandeur d’un dirigeant est dans sa capacité, non pas de dominer et d’écraser, mais d’écouter et de comprendre où sont les vrais intérêts de son pays.
Notre président a perdu cette capacité d’écoute et il ne donne plus l’air de comprendre quels sont les choix fondamentaux que nous devons faire pour sauver la nation. Il est heureux d’avoir mis Etienne Tshisekedi hors course. Il est conscient de bénéficier du soutien de la communauté internationale pour envoyer Jean-Pierre Bemba au tribunal international. Il caresse l’espoir de faire de Pay-Pay un allié de paille dans une nouvelle conjoncture politicienne où les assoiffés du bien-être voudront bénéficier des grâces du Prince Il croit ainsi qu’il sera un monarque absolu dans un pays qu’il soumettra par la violence et l’intimidation.
Il se trompe et il fait fausse route, car ses calculs n’obéissent à aucun impératif d’éthique politique de sortie de crise pour la nation ni à aucune requête profonde de notre peuple aujourd’hui porté par le souci de paix, de prospérité, de progrès social et de développement durable. Tout cela qu’aucune dictature ne pourra jamais nous donner.
S’il veut s’inscrire dans la trame de notre histoire comme un grand homme et un grand dirigeant, Joseph Kabila devra rompre avec la déraison des faucons de son propre camp, cette déraison qui est devenue maintenant sa personnalité profonde depuis que nous sommes en processus électoral et que la communauté internationale, dans une irresponsabilité absolument démente, lui donne carte blanche pour remporter les élections.
Rompre avec la logique des faucons, c’est accepter d’écouter les doléances et les attentes de toutes les franges de notre population, de nouer un dialogue social sans exclusive, qui serve de base d’une refondation politique de la nation. C’est surtout s’attacher à jouer en toute transparence le jeu de la démocratie, même s’il faut pour cela perdre les élections. Un homme politique très lucide a eu ce mot que je trouve superbe et juste : mieux vaut perdre les élections que perdre son âme. Je traduis, à l’intention de Joseph Kabila : mieux vaut perdre la pouvoir que perdre la tête, au propre comme au figuré.
Rompre avec la logique des faucons, c’est s’engager à redonner une espérance à notre peuple, en refusant de faire de la politique un champ de bataille où on veut la mort aux adversaires. La vraie bataille, nous devons la mener contre la misère, contre la paupérisation du pays, contre le sous-développement et contre le désespoir qui nous démoralisent. Cela demande une conviction de fond : nous avons un bonheur collectif à bâtir ; nous devons vraiment le bâtir comme le bonheur de tous et toutes.
J’entends les faucons crier : « c’est de la rêverie, ce n’est pas de la politique ». Je réponds : « La véritable politique ne peut naître que d’un grand rêve, surtout quand il s’agit du rêve de tout un peuple ».
L’actuel Prince a-t-il des oreilles pour entendre la voix de la sagesse ? J’en doute. Mais je compte sur l’esprit de Mobutu et celui de Laurent-Désiré Kabila pour montrer à notre président ce qu’il ne faut pas faire. Je compte aussi sur Dieu devant qui il vient de se marier pour lui dire ce que gouverner veut spirituellement dire.
(*) Philosophe et théologien congolais
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